LA DÉPORTATION, PREMIERE DÉSHUMANISATION

Wagon de déportation sur la Judenrampe, à Auschwitz, de nos jours (source : Dirkdeklein)

L’année qui marque le début de la déportation des Juifs de France est 1942, mais c’est en janvier 1944, alors qu’il est âgé de seulement 23 ans, que Léon Lehrer est déporté pour « [il] ne sait où en Pologne »1. C’est d’ailleurs du camp de Drancy que Léon Lehrer fut déporté, comme 65 000 des 75 000 Juifs déportés en France, en direction d'Auschwitz-Birkenau. Nous avons choisi de mettre en scène cette première expérience de déporté au début du court-métrage consacré à Léon Lehrer.

Photographie panoramique du camp de Drancy, prise en 1940 et 1945 (source: 1942 des rafles à la déportation)

Lors de leur acheminement en train vers les camps, les déportés font face à l’horreur, au sadisme et à la barbarie nazi. Les rescapés de cet éprouvant voyage restent profondément choqués par cette introduction violente, physiquement et moralement, à leur expérience concentrationnaire, que l’on nomme déportation, et n’en parleront souvent jamais, comme ce fut le cas d’Arlette Lévy, compagne de voyage de Léon Lehrer qui, lui, en aura décidé autrement. Dans des wagons à bestiaux scellés ou des wagons plombés, les déportés sont entassés à « 60 ou 80 par wagon, debouts, sans pouvoir bouger »2 (plan 3), nous raconte Léon Lehrer. Et parfois même davantage : « quatre vingt quinze à cent personnes »3 par wagon nous confie Robert Waitz, ancien déporté au camp de Monowitz, dans un ouvrage collectif intitulé Témoignage Strasbourgeois.

Plan 5 du court-métrage sur Lehrer Léon illustrant la mort des d’une déportée

Léon Zyguel, déporté en 1942 vers Auschwitz puis Buchenwald, témoigne aussi de ses conditions de déportation : « des conditions absolument épouvantables, sans eau, sans air, sans nourriture »4. (plan 5 du court-métrage sur René Tardi). Concernant les longues heures passées dans le train, Léon Lehrer déclare quant à lui : « nous avons l’impression de mourir sur place »5 (plan 2). Bien entendu, les déportés n’ont accès dans les wagons à aucune commodité sanitaire et d'hygiène puisqu’il ne bénéficient que d’un petit fût qui déborde vite d'excréments à l’intérieur du wagon (plan 3), ce qui entraîne une affreuse puanteur : « cela a été quelque chose d'effroyable »6 témoigne de même Léon Zyguel.

Dessin au crayon de Daniel Piquée-Audrain, déporté à MautHausen

(source : CNRD2009barbussegroupe5)

Ainsi dès la déportation, premier temps du système concentrationnaire nazi, l’Homme ne représente plus rien : toute forme d’humanité est abandonnée de force, les prisonniers étant poussés contre leur gré à parfois s'asseoir sur les morts (plan 5). Cette expérience dépassant le supportable engendre une perte totale de repères chez les prisonniers : « des personnes adultes au bord de la folie, d’autres qui étaient mortes avant d’arriver à destination »7, voici comment Léon Zyguel décrit certains de ses compagnons d’infortune. Sylvain Caen déporté en 1944 en qualité de résistant, confirme la violence symbolique subie dans les trains de déportation : « j’ai vu des gens devenir fous, j’ai vu des gens boire leur urine. C’est difficile à décrire, c’est même indescriptible »8 (plan 5).

Dessin d'Ella Liebermann-Shiber, déportée à Auschwitz, illustrant la déshumanisation de la déportation (source : Infocenters)

Ces témoignages peuvent êtres mis en perspective avec des travaux d’historiens comme ceux de Jean-Pierre Azéma qui confirme, chiffres à l’appui,  l’horreur de la déportation : « Au départ de Compiègne, 2521 déportés partent le 2 Juillet 1944 : 984 étaient morts à l'arrivée (39 %) »9. Ce chiffre effroyable témoigne d’une volonté délibérée d’exterminer des Juifs avant même l’arrivée au camps. La déportation, partie intégrante du système concentrationnaire nazi, déshumanise et tue, sciemment.

Finalement ce voyage dure, la plupart du temps, trois jours et trois nuits, parfois davantage en raison de la distance qui sépare les pays d’origines des déportés aux camps d’acheminement, et tout cela, donc, dans des conditions inhumaines. Chacun ayant perdu son humanité : « une humanité, sale, épuisée »10 sort des wagons, confie Odette Abadi, déportée en 1944 à Auschwitz- Birkenau, comme une conclusion à cette étude.

POUR EN SAVOIR PLUS SUR LE SUJET

Judaisme.sdv”, témoignages sur le convoi 60, Georges Hauptmann, 2009

 

Cndp”, témoignage vidéo et retranscrit de monsieur Léon Zyguel, sous la direction de Jean-Luc Millet, 2011

 

Home.nordnet”, témoignage extrait du livre Si c’est un homme, écrit par Primo Levi et traduit par Martine Schruoffeneger

 

Fmd.asso”, informations sur le convoi 66, exposé “clés en main”, auteur anonyme

 

1Helder Gil, Racisme - Déshumanisation - Génocide, 2010, disponible sur afma93.free.fr

 

2Ibid

 

3George HAUPTMANN, Robert Waitz dans le convoi 60 et au camp d'Auschwitz III - Monowitz, 2009, disponible sur judaisme.sdv.fr

 

4Sous la direction de Jean-Luc Millet, Témoignage de Léon Zyguel, déporté en tant que juif à Auschwitz puis à Buchenwald, 2011, disponible sur www.reseau-canope.fr

 

5Helder Gil, Racisme - Déshumanisation - Génocide, 2010, disponible sur afma93.free.fr

 

6Sous la direction de Jean-Luc Millet, Témoignage de Léon Zyguel, déporté en tant que juif à Auschwitz puis à Buchenwald, 2011, disponible sur www.reseau-canope.fr

 

7Ibid

 

8Comtown.com, 65e anniversaire de la libération des camps nazis, 2010, disponible sur fr.calameo.com

 

9Jean Pierre Azéma, Le nazisme et le génocide, 1991, Nathan, page 186

 

10Fondation pour la mémoire de la déportation, Clé en main, disponible sur www.fmd.asso.fr